Il existe désormais au Sénégal, un contrôle de la constitutionnalité de la loi avant sa promulgation, un contrôle de la constitutionnalité des engagements internationaux avant leur ratification, un arbitrage entre le Législatif et l'Exécutif au cours de la procédure d'élaboration des lois. La France, certes connait ces contrôles; mais ni la IV ème ni la V ème République n'ont confié aux juridictions suprêmes le soin de les exercer. Elles ont créé des organismes à caractère politique, dont l'autorité est de ce fait diminuée, sous le nom de Comité constitutionnel et de Conseil Constitutionnel. Le Sénégal est allé plus loin. C'est la Cour Suprême qui va, désormais, exercer ces délicates fonctions de contrôle. Le Président de la République, gardien de la Constitution, va trouver dans la Cour Suprême, cette autorité indépendante du Législatif et de l'Exécutif qui dira le Droit.
J'attache trop d'importance au respect de la charte fondamentale de tous les Sénégalais pour ne pas user de mon pouvoir de saisir la Cour Suprême, dans le délai de promulgation des lois ou avant la ratification des traités si j'ai le moindre doute sur leur constitutionnalité.
Messieurs, votre haute assemblée doit développer le sens de l'Etat et donner, à toute la population, confiance en la Justice de l'Etat sénégalais. Je n'attends pas de vous que vous cherchiez à plaire au Président de la République ou au Gouvernement, mais que vous nous disiez le Droit et la bonne administration. C'est au demeurant, en disant le Droit que vous nous plairez; car vous aurez ainsi consolidé' notre jeune Etat, qui est, désormais, notre raison ultime de vivre.
La tache de construction nationale qui nous attend, la volonté ardente qui nous anime de faire, du Sénégal, un Etat moderne, prospère, où règne l'équité, exigent, de la totalité des citoyens, et plus spécialement de tous ceux qui détiennent à un titre quelconque, une parcelle de l'autorité de l'Etat, un effort de chaque instant. La Cour Suprême, régulateur de la jurisprudence, censeur de l'Administration et même dans certains cas, censeurs des Pouvoirs publics, devra sans défaillance, relever toutes les atteintes au sens de l'Etat et à son autorité légitime.
Messieurs, le Sénégal compte sur sa Cour Suprême.
Quel que soit le poste auquel nous soyons placés, quelle que soit la responsabilité que nous ayons à assumer, quel que soit le pouvoir dont nous disposons, il faut, à mon sens, dans le moment présent, que nous revalorisions cette notion fondamentale de conscience professionnelle dans l'accomplissement de notre tache quotidienne. C'est un appel pressant que j'adresse aux fonctionnaires de mon département. C'est par le sérieux de notre travail, c'est par l'efficacité de notre action que nous combattrons le mieux toutes les propagandes dirigées contre l'action du Gouvernement d'ou qu'elles viennent.
C'est un vieux routier de la Politique, le Président ARRES-LAPOQUE, le rappelait tout à l'heure, mais formé à la discipline administrative, qui s'adresse à ses jeunes en toute sérénité, en toute confiance dans ce Sénégal qui semble- au début de cette saison sèche, avoir bénéficié de la bénédiction de DIEU par une récolte qui s'annonce comme l'une des plus belles et qui est pour nons, une sorte de symbole, d'espérance et il s'adresse à vous jeunes, en toute sérénité, en toute confiance. Car après voir, pendant de longues années, espérer voir pondre l'étoile de la Liberté, il voit de la longue nuit d'ou surgit l'Afrique, il voit pondre aujourd'hui non seulement l'étoile du matin, mais le soleil, le grand soleil d'Afrique, le soleil levant de la liberté et de la prospérité qui ne sera plus réservé à quelques peuples ou à quelques classes privilégiées, mais qui etendra ses rayons lumineux sur tous les hommes de tous les continents, de toutes les races.
L S Senghor, le 14 Novembre 1960